La Maison Botanique – Atelier Vivant

Les trognes

Mais qu'est-ce qu'une trogne ?

La trogne est un arbre taillé périodiquement à la même hauteur pour produire durablement du bois, du fourrage ou des fruits. Ce n’est pas l’essence de l’arbre qui fait la trogne mais sa taille régulière. Entre le têtard, où la coupe s’effectue principalement au sommet, et l’émonde, où elle a lieu surtout latéralement, il existe une multitude de combinaisons : une trogne peut avoir plusieurs têtes, plusieurs troncs, plusieurs bras… Après chaque recépage surgissent des bourgeons latents qui donnent de nouveaux rameaux (suppléants) et des bourrelets de recouvrement se forment au niveau des branches coupées. Ces tissus vivants recouvrent plus ou moins les coupes et préparent de nouveaux bourgeons. Au fil des recépages, la formation des bourrelets génère des replis et des boursouflures qui donnent aux trognes cette allure particulière. Si les cycles de taille sont réguliers et suffisamment rapprochés, la production de nouveaux rameaux peut se renouveler durant des siècles, même si la trogne est creuse.

Quand les arbres sont taillés régulièrement près du sol (taillis forestier, haie champêtre), les bourgeons latents démarrent de la souche ou des racines et forment ce que l’on appelle des cépées. On peut aussi définir la trogne comme une cépée portée par un tronc, sachant qu’elle peut avoir plusieurs troncs et former plusieurs cépées. À la différence du taillis, elle bénéficie des réserves nutritives stockées au niveau du tronc et, contrairement à la taille fruitière basée sur l’observation des bourgeons à fleurs et à fruits, sa taille s’appuie sur l’émergence des bourgeons dormants (latents) en attente sous l’écorce. La création d’une trogne s’effectue sur un arbre jeune : soit sur un semis naturel, un rejet de souche ou sujet planté dont on coupe le tronc à une certaine hauteur, soit en bouturant une branche qu¹on enfonce dans le sol comme un piquet (saules, peupliers).

Pourquoi des trognes ?

Avant l’emploi d’autres énergies et d’autres matériaux que le bois, avant les fourrages cultivés, les arbres et leur feuillage représentaient une richesse dont on n’a plus idée aujourd’hui. Émis près du sol, les rejets d’un taillis sont vulnérables, abîmés par les crues, les glaces ou les avalanches, piétinés, et surtout broutés par les herbivores sauvages et domestiques qui trouvent à leur hauteur une nourriture qu’ils affectionnent. Lapins, lièvres, cerfs, chevreuils, vaches, moutons, chèvres dévorent avec avidité ces jeunes pousses et leur feuillage.

S’ils mangent les rameaux au fur et à mesure de leur repousse, les arbres finissent par mourir, incapables de se régénérer, la forêt régresse et disparaît. Avec la trogne, l’homme invente le « taillis suspendu », « haut taillis », « cépée aérienne », « forêt aérienne », « forêt sur pilotis », « prairie aérienne », hors d’atteinte de la dent des herbivores. Portées par un tronc, les précieuses repousses apportent une production durable selon des cycles de taille réguliers qui répondent à de multiples usages.

Rythme des cycles de taille et mémoire de l'arbre

Plus les cycles de taille sont espacés et moins les bourgeons dormants (latents) sont capables d'émettre de nouveaux rejets (suppléants). Cette dormance varie selon les essences. Chez le chêne, au-delà de vingt ans, les bourgeons sont beaucoup moins actifs. Un chêne de 150 ou 200 ans ne repart généralement pas de souche ; c'est pour cette raison que la forêt est renouvelée par semis ou plantations. Autrefois le cycle de taille des trognes de chênes variait de 6 à 15 ans selon les régions et les usages. Aujourd'hui un grand nombre d'entre elles meurent suite à des étrognages trop espacés, les dernières interventions remontant souvent à plus de cinquante années. À l'opposé, un sujet taillé chaque année, osier par exemple, rejette avec vigueur mais ne peut stocker beaucoup de réserves au niveau du tronc et des racines ; cela limite son espérance de vie et ralentit son grossissement. Le rythme des tailles est « gravé » dans les cernes de croissance. Très serrés, les premières années après le recépage, ils s'élargissent ensuite avec l'augmentation de la masse foliaire. L'étude de ces anneaux de croissance sur des vieux bois de charpente a permis de confirmer et de dater l'emploi très ancien de bois émondés dans l'habitat.

Depuis quand des trognes ?

Des restes de vannerie trouvés dans des gisements du néolithique laissent penser qu'à cette époque les arbres étaient déjà coupés à hauteur pour protéger leurs repousses des herbivores sauvages et domestiques. En Angleterre, des vestiges de trognes âgés de 3400 ans ont été découverts enfouis dans le lit de la rivière Trent. En Bretagne, l'analyse de bois d'œuvre archéologique montre que l'émondage était pratiqué à l'époque carolingienne. La sculpture, la mosaïque, la fresque sont de précieuses sources de renseignement qui nous offrent des représentations datées, pour les plus anciennes, de 3500 ans. L'enluminure médiévale est une mine d'informations : dans les miniatures des douze mois de l'année des « Très Riches Heures du duc de Berry » (première moitié du XVe siècle) des trognes sont illustrées aux mois d'avril, juin, juillet et octobre. Depuis plus de 3000 ans, une multitude de représentations témoignent de la présence et de l'importance des arbres têtards et des arbres d'émonde dans le paysage, que viennent confirmer les textes anciens, les coutumes qui commencent à être fixées par écrit au Moyen Âge, les baux ruraux, l'édition des Usages locaux, par exemple.

La nature produit « naturellement » des trognes

Bien avant qu'ils ne soient taillés par les humains, les arbres ont été confrontés aux dommages naturels causés par les tempêtes, le givre, la glace, les avalanches, les crues, la chute de rochers ainsi que la dent des herbivores. Au cours de cette longue évolution, les feuillus, notamment, ont acquis la faculté étonnante de se régénérer à partir de bourgeons dormants situés sous leur écorce. Stimulés, suite à un stress (casse, coupe, abroutissement), ces bourgeons se réveillent pour former de nouvelles branches. En pratiquant le taillis et l'étrognage, les hommes ont eu l'idée géniale d'utiliser cette incroyable faculté du génie végétal. Coupés à faible hauteur par le castor, saules, peupliers, frênes, ormes repoussent comme des mini-trognes naturelles. En Guyane, en mangeant les feuilles de Pterocarpus officinalis, l'hoatzin, oiseau ruminant, crée des trognes sur lesquelles il peut installer son nid. Dans les montagnes, les arbres broutés au-dessus de la couche de neige repartent en se ramifiant et en émettant de nouvelles branches. Ce regard sur les origines nous éclaire sur la nature inventive du végétal.

Voici une petite vidéo, qui parle assez bien du sujet des trognes, réalisée par Maxime Livenais lors d’une visite chez nous.
Retrouvez le reste de son voyage à Boursay et ailleurs ici

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